La nuit de l’art dansant

Par Amber O’Reilly

À l’approche de la Maison Gabrielle-Roy, les sens s’éveillent. Discrète, cet éloge d’un autre temps est bien dissimulé dans sa rue tranquille. Un soir d’automne, elle aussi arrive à se repérer dans le présent, habitée par la chaleur des voix et des pas qui font chanter ses planchers de bois. Lorsque tout le monde est arrivé, nous nous regroupons au sous-sol pour un moment en commun avant de nous disperser dans tous les recoins de la maison, appelés par des mots qui nous pénètrent sur la pointe des pieds.

Alain Labonté, Rhéa Dufresne et Louise Dandeneau racontent l’amour qui s’échappe de la souffrance et de la joie, la peur du changement intrinsèque à l’expérience humaine et les péripéties de la vie urbaine. Leurs voix, quoiqu’elles émanent de trois pièces différentes de la maison, sont nouées par une complicité naissante. Nous nous promenons dans les couloirs étroits comme des souvenirs en ascension vers le grenier, là où les jouets de notre enfance n’ont pas perdu leur splendeur. Des échanges lumineux passent de l’oreille à la bouche et se livrent à la nuit.

Nous filons le long des rails et jusqu’au calme du boulevard Provencher baigné dans une mer de pénombre. La tour de l’hôtel de ville s’élève comme un phare, son visage intemporel sonnant la collision de deux univers. Des nappes de rouge vif drapent les tables comme des rideaux de velours, annonçant « place au spectacle! » Peu à peu, la salle se peuple d’artistes, d’écrivains et de spectateurs curieux. Charles Leblanc énonce d’une voix claire le déroulement de la soirée en conseillant aux artistes de prévoir un espace pour les mots sur la feuille et en rappelant aux écrivains qu’il ne s’agit pas d’écrire un roman. Une fois le thème et les deux mots obligatoires de la ronde annoncés, les équipes prennent place à une table et un silence s’installe.

À peine deux minutes plus tard, Bertrand Nayet entonne un décompte métronomique de « cinq-quatre-trois-deux-un, arrêtez » alors que Gemma Fiset-Cookshaw, Benj Funk et Rich Jeanson balayent la feuille d’un dernier trait de pastels et cèdent leur place aux mots d’Alain, Louise et Rhéa. S’ensuit une danse créative dans laquelle deux cerveaux se rejoignent sur la même orbite, deux paires de mains façonnent une planète. En cinq minutes, une œuvre est créée et soulevée pour que tous puissent la regarder et l’entendre. En un rien de temps, cet exercice se répète douze fois. Les rires et les applaudissements fusent, le vin coule, la plume et le pinceau s’étreignent doucement.